Discours prononcé par M. le prieur Sébastien Richard à l'occasion de l'office du Siège célébré sur le plateau Saint-Michel à Vence le lundi 10 avril 2023.
Panégyrique de St Véran et St Lambert
10 avril 2023
Véran et Lambert, saint Véran et saint Lambert.
Deux hommes qui ont vécu parmi nous.
Véran qui a vécu au Vème siècle. Un des premiers évêques de
cette cité, un de ceux qui ont implanté le christianisme sur ces terres. Sa vie
religieuse il l’a commencée à Lérins qui était alors une forteresse de la
culture dans un empire qui s’écroulait sous les assauts des invasions barbares.
Devenu évêque de Vence il fut confronté à la guerre et aux tueries. Alors que les
Barbares d’Euric pillaient, incendiaient, massacraient, alors que les édiles
municipaux de Vence avaient fuit pour protéger leurs vies, alors qu’aucune
armée ou puissance publique ne s’opposait à l’avancée des hordes sanguinaires,
Véran se leva. Non, la destruction, le mal, la mort ne peuvent avoir le dernier
mot… Véran, armé de sa foi et conscient de sa responsabilité, fortifié par
l’exemple de son Seigneur qui s’offrit librement au sacrifice de la Croix,
saint Véran se leva et partit à la rencontre du chef barbare pour négocier le
salut de son peuple en échange de sa vie. Et le païen Euric, impressionné par
le courage du petit évêque, passa sans faire couler le sang.
Véran, bouclier de son peuple ; saint Véran, bon berger
qui protège son troupeau.
Lambert qui a vécu au XIIèmesiècle. Issu lui aussi de Lérins
mais en d’autres temps. Son époque c’était celle du triomphe des seigneurs
féodaux, c’était celle des guerriers à cheval qui tyrannisaient, brutalisaient
et méprisaient leurs contemporains, c’était celle des paysans laborieux qui ont
sorti de la pierre la moindre petite parcelle de notre terroir. Devenu évêque
de la cité de Vence il fut confronté aux injustices qui pesaient sur son peuple
du fait de seigneurs intransigeants et de clercs indignes. Face à l’ignominie
des puissants qui se disaient pourtant chrétiens Lambert se leva. Non
l’injustice, la souffrance, la mort ne peuvent avoir le dernier mot… Lambert
armé de sa dignité d’évêque, conscient de son autorité morale, fortifié par
l’enseignement de son Seigneur qui a placé les pauvres et les petits au premier
rang, saint Lambert se leva et excommunia les comtes et les barons qui
pratiquaient le servage. Il fit bâtir le premier hospice destiné à soigner les
pauvres et les malades de Vence. Il imposa à son clergé une vie de sobriété au
service du peuple chrétien.
Lambert, épée de son peuple ; saint Lambert bon berger
qui protège son troupeau.
Voilà, chers amis, qui furent nos saints patrons, deux hommes
parmi les hommes de leur temps. Ils ont mis leur honneur à soutenir, à
défendre, à aider nos aïeux pour qu’ils vivent dans la dignité. Ce sont nos
héros. Chaque peuple a ses hautes figures, ses Hercule et ses Jeanne d’arc. Le
peuple de Vence a Véran et Lambert. Alors ce ne sont certes pas les héros modernes
à la Marvel ou à la Netflix, ils n’ont pas de superpouvoirs, ils n’ont pas
sauvé la planète d’une invasion extra-terrestre… Mais ils étaient des gens
comme nous et parmi nous. Et ils sont toujours avec nous, leurs corps reposent
dans notre vieille cathédrale et leurs voix résonnent encore depuis le sommet
du Baou jusqu’aux contreforts des Malvans, depuis les sources de la Cagne
jusqu’aux gorges de la Lubiane : « Vençois ! Soyez unis, soyez
forts, soyez courageux ! Battez-vous pour la justice, pour la foi, pour
l’honneur »
Ces voix résonnaient encore lorsqu’au XVIème siècle les
Guerres de Religion déchiraient ces terres. Alors que la cité de Vence était
assiégée par son propre seigneur temporel, alors que son évêque se cachait
derrière les remparts de Nice, alors que personne ne se souciait du sort de nos
aïeux, les Vençois se levèrent. C’est naturellement qu’ils se tournèrent vers
Véran et Lambert pour refaire leurs forces, pour retrouver le courage et
l’unité. Et la victoire fut. Elle fut, contre toute attente, du côté du peuple face
à son suzerain, du côté des travailleurs et des paysans face aux canonniers et
aux mousquetaires, du côté des humbles face aux puissants. Une victoire
inattendue, une victoire comme on les aime : le petit qui bat le grand, le
faible qui défait le fort… C’est cela que nous commémorons aujourd’hui. Ce
matin nous nous souvenons d’une communauté unie, guidée par l’exemple de Véran
et Lambert. Nous affirmons qu’un peuple rassemblé peut faire basculer
l’histoire. Voilà le sens profond de cette traditionnelle procession du lundi
de Pâques.

Quelques médisants incertains ont voulu vous priver de cette
Messe du Siège, arguant que cette célébration ravivait les divisions des
guerres de religion… Quel argument pitoyable, quelle erreur de jugement, quelle
bêtise ! Nous sommes ici parce qu’en Provence la fête est d’abord
l’occasion de refaire l’unité de la communauté. La structure est toujours la
même : on sort tous ensemble de la ville, on commémore les hauts-faits de
l’histoire de la cité, on célèbre la messe avec nos saints patrons, on se
souvient de nos défunts. Une fois ce rite accompli on retourne en ville pour
les festivités profanes (le banquet, le bal ou la bataille de fleurs) et on
célèbre bruyamment la vie, la joie, le bonheur renouvelé d’être ensemble. C’est
le rituel ancestral de la fête patronale, du festin, de la fête votive :
une journée entière qui devient un moment de communion pour resserrer les liens
entre les habitants. C’est une formule aussi vieille que notre civilisation,
chaque geste et chaque étape ont du sens, à Vence comme à Arles, à Nice comme à
Nîmes, à Avignon comme à Forcalquier, jusque dans le plus petit de nos
villages. Et on commémore toujours des batailles gagnées, des épidémies
vaincues, des vœux exaucés parce que c’est dans ces situations difficiles que
nos aïeux ont donné le meilleur d’eux-mêmes.
Alors peut-être qu’à l’heure de la mondialisation, du
réchauffement climatique et de la guerre en Ukraine cette formule est obsolète.
Peut-être que dans notre monde qui va toujours plus vite et qui s’épuise à
vouloir tout changer, tout moderniser, tout transformer, peut-être qu’il faut
envisager de faire évoluer nos façons de faire la fête… peut-être. Peut-être. Mais
je suis sûr d’une chose, si nous abandonnons ce qui fait l’identité de Vençois,
si nous oublions Véran et Lambert, si nous effaçons notre histoire particulière
et nos spécificités culturelles, nous ne formerons jamais plus une communauté
unie, nous serons des individus interchangeables dans un magma culturel
aseptisé et insipide. Vence ne sera plus alors qu’un point géographique quelconque, une place au soleil comme une autre…
Mais nous sommes là ce matin, nous avons répondu fidèlement
à l’appel de Pâques. Nous sommes avec saint Véran et saint Lambert et je loue
la persévérance, le courage et la patience de ceux à qui nous le devons :
Marc, Barthélémy et Marie-Eve, Estelle, Jean-Pierre et vous tous qui perpétuez
ce geste ancestral qui nous réunit. Alors que notre cité se transforme à un
rythme effréné, alors que chaque matin voit l’arrivée de nouveaux voisins et
que nos maisons disparaissent pour toujours plus de béton, ce que nous faisons
ici est essentiel au salut de l’âme vençoise dont saint Véran et saint Lambert
sont les étendards aujourd’hui comme hier et comme demain.
VIVE ST VERAN!
VIVE ST
LAMBERT!
VIVE VENCE!
Sébastien RICHARD