samedi 17 janvier 2015

La violence après la violence



Depuis la semaine dernière fleurissent des discours de haine qui rebondissent sur les évènements tragiques de Paris pour condamner pêle-mêle le sentiment religieux en général ou l’Islam en particulier. 

Les plus acharnés dans le camp des défenseurs des valeurs républicaines et laïques s’évertuent à nous expliquer que les religions sont l’ennemi du vivre ensemble : les croyants, voilà le problème ! Des réactionnaires en puissance incapables de se contenter d’exprimer leurs conceptions morales de 18h à 6h du matin dans le cadre exclusif du cercle familial… La République devrait y mettre bon ordre !

Et puis il y a aussi ceux qui disent qu’ils nous avaient prévenus. Ils avaient affirmé à maintes reprises que l’Islam était incompatible avec nos valeurs : l’Islam, voilà le problème ! Une religion choyée par nos gouvernants alors qu’elle n’est qu’un prétexte au communautarisme qui détruit notre civilisation… La République devrait y mettre bon ordre !

Eglise de Florentin dans le Tarn
L’ordre républicain est appelé au renfort de partenaires improbables dans l’éventail politique.   

Mais qui s’interroge sur les mécanismes qui créent des intégristes religieux capables de tuer ? Comment des champions de la manipulation ont pu leur faire avaler, profitant de la faiblesse de leur culture religieuse, que Dieu avait soif du sang de ses enfants ? Ce qui est plus terrible encore c’est de concevoir que cet ignoble chemin de contradiction n’est pas tracé à l’écart de notre société "républicaine et laïque", c’est justement là qu’il se déploie et de là qu’il nous questionne.

Comment la République a pu laisser des quartiers entiers sombrer dans une telle pauvreté matérielle et dans un tel isolement social que même les principes fondamentaux de la religion dont ils se réclament, crainte de Dieu et respect du frère, sont oubliés par certains jeunes ? Comment des enfants passés par l’école de la République ont pu se sentir méprisés dans leur identité à un point tel qu’ils ont rejeté en bloc toutes nos valeurs les plus fondamentales ? Comment les centres pénitentiaires de la République peuvent être si vides d’espérance et de compassion qu’ils deviennent des centres de formation d’apprentis intégristes ? Comment notre système de valeurs républicaines a pu devenir le terreau d’un individualisme triomphant, permettant à une poignée de jeunes de devenir des candidats à un héroïsme brutal et sanguinaire ? Comment les processus démocratiques de notre République peuvent à ce point broyer les minorités et laisser croire à des hommes que le martyre est le seul moyen de se faire entendre ?

Alors maintenant on veut ajouter de la violence à la violence, on veut répondre aux actes méprisables de ces jours passés par une fermeté exemplaire à l’encontre des religions et des croyants en général, ou à l’encontre de l’Islam en particulier. Mais si vous osez regarder les racines du mal vous n’y trouverez pas la foi, vous y trouverez de la désespérance et les incohérences profondes de notre société incapable de donner corps à des valeurs universelles.

 Dans mon horizon social, un intégriste religieux c’est un catho qui se parfume à l’encens, qui pense que Dieu ne comprend que le latin et qui passe des nuits blanches à trouver une cohérence entre son opposition à l’avortement et son acquiescement à la peine de mort. La peur du péché est la principale dynamique de son existence et il voudrait qu’il en soit de même pour tout le monde. Je ne connais pas suffisamment l’Islam pour avancer une concordance, mais les principes sont identiques. A mon sens ce n’est certainement pas la foi qui pousse à tuer, surtout quand cette foi nous parle d’un Dieu qui, dans un élan d’amour, a créé l’homme libre… Ceux qui tuent des innocents au nom de Dieu ne sont donc pas de pieux religieux car leur acte les condamne inévitablement à l’Enfer. Pour autant en oeuvrant pour ôter aux religions établies leur rôle social, en raillant systématiquement les convictions religieuses comme des valeurs de seconde zone, en confondant laïcité et mépris de la spiritualité, notre société crée inévitablement un ressentiment qui devient explosif quand il s’ajoute à la ségrégation sociale. 


Les croyants sont peut-être minoritaires en France, ils n’en méritent pas moins la bienveillance des institutions et de leurs concitoyens. L'égalité ne se construit pas forcément sur l'indifférenciation passive, elle gagnerait à intégrer le respect des différences. On préfère croire que la foi n'a pas d'influence sur la vie sociale plutôt qu'accepter que la croyance en Dieu ou la non-croyance en Dieu sont deux opinions qui se valent et que leur coexistence respectueuse n'enlève rien au principe d'égalité ni à la neutralité de l'Etat. Le combat contre l’emprise du religieux sur les citoyens et la nation est une lutte passéiste, une lubie alimentée par des fantasmes anticléricaux d’un autre temps, il y a longtemps que les clercs ont intégré les principes de Liberté, d’Egalité et de Fraternité dans leurs discours. La frange intégriste qui résiste dans toutes les communautés religieuses se nourrit précisément des actes politiques de dénigrement du religieux. Si la République, au lieu de tenter d’extirper la religion des relations sociales, travaillait dans la concorde avec les représentants des cultes, il y aurait  certainement moins de friches permettant aux illuminés de profiter de la misère et de la haine pour recruter des candidats au suicide et au meurtre.

S. RICHARD

Prieur de la Société du St Sépulcre

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